La Cour constitutionnelle turque a, par sa décision de dissoudre le Parti pour une société démocratique (DTP), principal parti pro-kurde du pays, enterré définitivement la soi-disant "ouverture démocratique" lancée par le gouvernement d'Erdogan sous la prétention de mettre fin à 25 ans de conflit.
Cette décision injuste de la justice turque démontre une fois de plus que ce pays, en marchandage avec l'Union européenne pour son adhésion, est toujours très loin dans le respect des critères démocratiques.
Pour rappel, parmi les membres du DTP bannis de la vie politique se trouve aussi Leyla Zana, déjà emprisonnée près de dix ans et à qui a ét décerné le Prix Sakharov par le Parlement européen.
Maintenant c'est le tour des institutions européennes de réagir énergiquement contre cette injustice privant le peuple kurde de se représenter dans la vie politique de la Turquie et de l'Europe.
La présidence suédoise de l'UE, dans un communiqué, s'est déclarée "préoccupée" par la décision de la Cour constitutionnelle turque. "La dissolution d'un parti politique est une mesure exceptionnelle qui doit être décidée avec précaution. L'Union européenne appelle la Turquie, pays qui négocie son adhésion (à l'UE), à prendre les mesures constitutionnelles pour mettre sa législation sur les partis politiques en conformité avec les règles européennes", a-t-elle dit.
Toutefois, pour être cohérente, l'Union européenne, avec son conseil, sa commission et son parlement, doit prendre une position radicale et informer Ankara que les négociations d'adhésion ne peuvent plus se poursuivre sans un changement profond dans la constitution et la législation turques, vestiges des régimes totalitaires imposés par l'Armée turque.
Le président de la Cour Hasim Kiliç a déclaré lors d'une conférence de presse, au terme de quatre jours de délibérations, que le DTP a été dissout car il serait devenu un "foyer d'activités préjudiciables à l'indépendance de l'Etat et à son unité indivisible".
La décision a été prise à l'unanimité des 11 juges, alors qu'une majorité qualifiée de sept voix était requise pour prononcer la dissolution, a indiqué M. Kiliç, ajoutant que 37 des cadres du parti, dont son président Ahmet Türk et la députée Aysel Tugluk, étaient bannis de la vie politique pour une durée de cinq ans.
Le juge a également annoncé la levée de l'immunité parlementaire dont bénéficiaient M. Türk et Mme Tugluk et la confiscation par le Trésor des biens du parti.
Après le verdict, M. Türk a répété que la décision allait "approfondir le désespoir".
"Il est évident que fermer la voie à une politique démocratique va approfondir le désespoir (...) La Turquie ne peut pas résoudre cette question (kurde, ndlr) en interdisant un parti", a-t-il déclaré à la presse.
Le DTP dispose de 21 sièges au Parlement (sur 550). Ses dirigeants avaient prévenu avant le verdict que les députés quitteraient le Parlement plutôt que de siéger comme parlementaires sans étiquette.
La décision fait suite à une procédure lancée en 2007 par le procureur de la Cour de cassation Abdurrahman Yalçinkaya, qui a accusé le DTP d'obéir aux "directives" du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme une organisation terroriste par Ankara et par de nombreux pays.
Les dirigeants du DTP avaient affirmé qu'une dissolution pourrait entraîner une recrudescence des tensions dans le sud-est anatolien, où de nombreuses manifestations contre les conditions de détention du chef du PKK Abdullah Öcalan ont dégénéré en heurts avec la police au cours des deux dernières semaines.
"Cette décision est un torpillage total de l'ouverture démocratique" lancée par le gouvernement", a commenté l'analyste politique Ahmet Insel, économiste à l'université stambouliote de Galatasaray. "On peut s'attendre, évidemment, à une réaction du PKK", a-t-il ajouté.
Le DTP succède à une lignée de partis pro-kurdes dissous. Quatre députés, dont la lauréate du prix Sakharov des droits de l'Homme Leyla Zana, ont purgé de 1994 à 2004 une peine de dix ans de prison pour liens avec le PKK.
Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, lundi, juste avant le jugement de la Cour Constitutionnelle, avait accusé le DTP de "s'identifier" aux rebelles armés.
Quant au principal parti d'opposition, le CHP, il a tout de suite salué "une décision juste et fondée juridiquement".
Le seul parti répresentatif du peuple kurde
Introduite par le premier procureur de la Cour de cassation, Abdurahman Yalçınkaya, déjà à l’origine de la procédure similaire qui avait failli conduire, l’an passé, à la dissolution de l’AKP, l’action dirigée contre le parti kurde est pendante depuis le mois de novembre 2007.
Selon une analyse dernière de Jean Marcou, publiée par Ovipot le 6 décembre 2009, le DTP est aujourd’hui le quatrième parti politique turc. Malgré les dispositions de la Constitution de 1982, interdisant aux partis politiques et aux associations de se réclamer « d’une partie de la population », il existe de facto en Turquie, depuis 1991, une formation politique pro-kurde légale, qui se reconstitue sous des appellations partisanes voisines, au gré des dissolutions qui la frappent régulièrement : HEP, DEP, ÖZDEP, HADEP, DEHAP, et actuellement DTP.
Cette formation participe aux élections locales, et gère de nombreuses municipalités dans les départements du sud-est, à commencer par la grande agglomération de Diyarbakır (près de 2 millions d’habitants). Lors des élections législatives, bien qu’elle ait fait régulièrement des scores très élevés dans les zones de peuplement kurde, elle n’a jamais pu franchir, au niveau national, la barre de 10%, permettant d’avoir une représentation parlementaire, cela l’a donc longtemps empêché d’être présente au parlement. Ainsi, en 2002, le Parti démocratique du peuple (Demokratik Halk Partisi, DEHAP), majoritaire dans plusieurs départements du sud-est, n’avait recueilli nationalement que 6,22% des suffrages, et n’avait donc pas eu de députés.
C’est la raison pour laquelle, lors des élections législatives de 2007, le DTP a changé de tactique en faisant le choix, cette fois, de présenter des candidats indépendants. Une vingtaine d’entre eux ayant été élus, il a pu constituer un groupe parlementaire, qui est devenu la quatrième force politique au Parlement derrière l’AKP, le CHP et le MHP. L’influence du DTP s’est confirmée depuis.
Lors des dernières élections locales de mars 2009, il est sorti victorieux du duel qui l’opposait à l’AKP, parti à l’assaut de ses bastions du sud-est, en étant majoritaire dans 9 départements de cette région (Diyarbakır, Batman, Hakkari, Iğdır, Siirt, Şırnak Tunceli, Bingöl et Van).
C’est ce parti qui est aujourd’hui dissout dans un contexte qui a sensiblement évolué, depuis son entrée au parlement et sa mise en accusation devant la Cour constitutionnelle, en 2007. En effet, au cours des deux dernières années, le DTP s’est imposé comme une force politique turque à part entière, et depuis le lancement de l’ouverture démocratique kurde, il apparaît comme le principal interlocuteur politique du gouvernement.
La décision de la Cour cependant intervient dans un contexte difficile où le PKK est plus que jamais au cœur des débats et où l’initiative kurde gouvernementale paraît s’enliser. Le 23 novembre dernier, un convoi du DTP a été « caillassé » à Izmir, sous prétexte que des drapeaux du PKK avaient été déployés, lors de réunions que ce parti venait de tenir dans la capitale égéenne.
Le 25 novembre 2005, le vice-premier ministre, Cemil Çicek a accusé le DTP d’avoir un comportement irresponsable et d’agir comme s’il souhaitait sa propre dissolution, une accusation déjà formulée précédemment par le premier ministre en personne à laquelle Ahmet Türk a répondu que le gouvernement cherchait à créer un environnement psychologique préparant une dissolution.
Il y a deux semaines des manifestations célèbrant le 31e anniversaire de la création du PKK ont dégénéré dans plusieurs villes du sud-est, débouchant sur des affrontements particulièrement violents. Plus de 150 personnes arrêtées lors de ces événements attendent depuis lors leur procès.
Le 30 novembre 2009, interviewé par le quotidien « Vatan », Ahmet Türk, a fortement critiqué l’ouverture kurde gouvernementale en disant, entre autres, qu’elle devait aller plus loin sur le plan linguistique ou sur celui de l’autonomie administrative, et qu’en exclure le PKK n’était pas réaliste. Au cours des semaines qui viennent de s’écouler, en outre, des modifications affectant la détention d’Abdullah Öcalan sur l’île d’Imralı, ont provoqué de nouvelles polémiques et des manifestations qui ont fait la une de l’actualité.
Faisant valoir que, depuis la mi-novembre le chef du PKK n’est plus isolé car il côtoie d’autres détenus, le ministre de la justice, Sadullah Ergin, a estimé qu’il recevait un traitement conforme aux standards internationaux et indiqué que la réduction de la surface de sa cellule, au cœur des derniers débats, n’était que de 17 cm2. Le 4 décembre, le ministre a d’ailleurs diffusé publiquement des photos des lieux de détention du chef rebelle, à propos desquelles le DTP n’a pas encore réagi. La députée Emine Ayna, réputée appartenir à sa tendance dure, a néanmoins déclaré que l’évolution des conditions de détention d’Öcalan portait un coup sévère à l’ouverture kurde entreprise par le gouvernement.
La dissolution du DTP, en effet, conforterait le camp laïque et nationaliste dans son opposition résolue à l’initiative gouvernementale en le gratifiant d’une victoire, et incitera la mouvance politique kurde à la radicalisation en éloignant la perspective d’une solution politique. Le grand perdant serait alors le gouvernement, qui aurait mécontenté l’opinion publique turque sans pour autant convaincre les Kurdes.
Le DTP boycotte le Parlement turc
Le DTP a annoncé samedi que ses députés boycotteraient le Parlement turc, au lendemain de la décision de la Cour constitutionnelle de dissoudre le parti, qui est accusé de liens avec la rébellion kurde.
"Notre groupe (parlementaire) s'est de fait retiré du Parlement, à partir d'aujourd'hui. Il ne participera plus aux travaux" du Parlement, a déclaré à la presse Ahmet Türk, co-président du Parti pour une société démocratique (DTP), après une réunion du parti.
La Cour constitutionnelle a prononcé vendredi la dissolution du DTP, qui est accusé de liens avec les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en lutte depuis 25 ans contre le régime d'Ankara.
Le DTP dispose aujourd'hui de 19 députés (sur 550) au Parlement, deux députés du parti, dont M. Türk, ayant été dépossédés de leur siège vendredi, avec la décision d'interdiction de la Cour constitutionnelle.
Heurts entre manifestants et police après l'interdiction du parti pro-kurde
Des centaines de manifestants kurdes se sont affrontés aux policiers anti-émeutes vendredi en Turquie, après l'annonce par la Cour constitutionnelle de la dissolution du principal parti pro-kurde, pour liens avec la rébellion.
Les forces de l'ordre ont tiré des grenades lacrymogènes et utilisé des canons à eau face à environ un millier de manifestants rassemblés devant les locaux du Parti pour une société démocratique (DTP) à Diyarbakir, grande ville du sud-est peuplée en majorité de Kurdes, après l'annonce de la décision de la justice de dissoudre le DTP.
Heurts entre manifestants et police après l'interdiction du parti pro-kurde
Des centaines de manifestants kurdes appelant à la "vengeance" se sont affrontés aux policiers anti-émeutes vendredi en Turquie, après l'annonce par la Cour constitutionnelle de la dissolution du principal parti pro-kurde, pour liens avec la rébellion.
Les forces de l'ordre ont tiré des grenades lacrymogènes et utilisé des canons à eau face à environ un millier de manifestants rassemblés devant les locaux du Parti pour une société démocratique (DTP) à Diyarbakir, grande ville du sud-est peuplée en majorité de Kurdes, après l'annonce de la décision de la justice de dissoudre le DTP.
Des manifestants ont lancé des cocktails Molotov et utilisé des frondes contre les policiers.
Une centaine de manifestants, dont des jeunes de gauche, se sont réunis également devant les bureaux du DTP à Istanbul, où vivent de nombreux Kurdes.
"Nous sommes tous des Kurdes, nous sommes tous membres du DTP", ont scandé les protestataires, certains lançant des pierres. La police a tiré une seule grenade lacrymogène. (AFP, 11 déc 2009)
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